Les conséquences des changements globaux sur la perte de biodiversité sont plus importantes que prévu

Depuis 130 000 ans, les activités humaines sont à l’origine de la disparition de plus de 600 espèces d’oiseaux, selon une récente étude internationale, impliquant notamment le Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement (CRBE – CNRS/IRD/Toulouse INP/UT3). Mais au-delà du nombre déjà considérable, les scientifiques alarment sur les conséquences de ces extinctions, très mal évaluées jusqu’alors. Leur article a été publié le 3 octobre dans la revue Science et révèle l’ampleur insoupçonnée de la crise actuelle de la biodiversité.

Du Dodo de l’île Maurice, disparu à la fin du 17e siècle, au Moho de Kaua’i, une espèce d’Hawaii non revue depuis 1987 et déclaré éteinte en 2023, nombreuses sont les espèces d’oiseaux à s’être éteintes du fait des activités humaines au cours des 130 000 dernières années, époque au cours de laquelle notre espèce s’est répandue dans le monde entier. C’est ce phénomène qu’a étudié un collectif international de scientifiques, incluant des ornithologues, écologues, biologistes de l’évolution et paléontologues, dans lequel est impliqué Christophe Thébaud, professeur de biologie évolutive et d’écologie à l’université Toulouse III – Paul Sabatier au sein du CRBE.

Les chercheurs et les chercheuses ont réalisé le bilan le plus complet à ce jour des extinctions d’oiseaux à l’échelle planétaire. Ils ont utilisé des données nouvelles sur les traits morphologiques et écologiques ainsi que l’évolution des 11 000 espèces d’oiseaux actuelles et de 610 espèces éteintes. Le résultat est sans appel : les conséquences des extinctions chez les oiseaux ne peuvent pas être quantifiées simplement par le nombre d’espèces perdues. D’autres dimensions de la biodiversité sont également affectées, notamment celles liées à l’évolution du patrimoine génétique et phénotypique (la diversité phylogénétique) et aux rôles écologiques des espèces (la diversité fonctionnelle).

Grands pingouins (Pinguinus impennis) : le dernier individu a été tué le 3 juin 1844. © Julian P. Hume

Si le nombre d’espèces qui disparaissent est « un élément important de la crise actuelle de la biodiversité », des mots de Tom Matthews, chercheur à l’université de Birmingham et premier auteur de l’étude, « il faut également prendre en compte le fait que les espèces s’intègrent dans des réseaux complexes d’interactions biologiques qui sont le moteur du fonctionnement des écosystèmes ». C’est cette diversité fonctionnelle qui se retrouve affaiblie à chaque disparition d’espèce. 

« Certains oiseaux sont en quelque sorte des agents de ‘lutte biologique’ par l’impact qu’ils ont sur les populations d’insectes dont ils se nourrissent », souligne l’écologue britannique .

Les uns participent au grand recyclage de la matière en se nourrissant de charognes, tandis que les autres, en consommant les fruits des plantes sauvages, en dispersent les graines dans leurs fientes, agissant ainsi comme de véritables ‘jardiniers’ de la forêt. Enfin, des oiseaux comme les colibris sont des pollinisateurs-clé pour de nombreuses espèces de plantes.

Un autre point de l’étude est tout à fait étonnant et presque inattendu : l’ampleur des extinctions d’oiseaux induites par les activités humaines est telle qu’elle correspond à une perte d’environ 3 milliards d’années d’histoire évolutive unique. « Avec le temps, les espèces évoluent et se diversifient et représentent à la fois un héritage évolutif, produit d’une histoire qui est propre à chaque espèce, et un potentiel évolutif à travers leur capacité à évoluer pour répondre aux changements environnementaux, cette capacité étant elle-même le résultat de leur histoire», précise Christophe Thébaud. 600 espèces éteintes, ce ne sont pas 600 espèces d’oiseaux aléatoires de disparues. Ce sont des millions d’années de l’histoire d’une très grande diversité d’espèces et de lignées évolutives qui sont perdues de façon irréversible. La diversité phylogénétique se retrouve ainsi rétrécie. 

« Les extinctions d’origine anthropique ont concerné de manière disproportionnée des espèces avec un degré élevé d’originalité fonctionnelle et jouant des rôles écologiques souvent distincts de ceux de la plupart des autres espèces », résume l’enseignant-chercheur toulousain. Ainsi la capacité de résilience des écosystèmes vis-à-vis des changements globaux, y compris le changement climatique, se trouve potentiellement altérée.

Reconstitution de l'île de Kaua'i (archipel d'Hawaii) avant l'arrivée des êtres humains. Les trois espèces représentées ont disparu depuis, du fait des activités humaines (la Chouette à longues pattes de Kaua'i, le Psittirostre de Kaua'i, le Moho de Kaua'i). © Julian P. Hume

Dans leur conclusion, les auteurs et autrices de l’étude estiment que 1 000 espèces d’oiseaux devraient s’éteindre au cours des deux prochains siècles.  Au-delà de la perte tragique d’espèces, et des patrimoine et potentiel évolutifs qu’elles représentent, ces extinctions se traduiront par une altération de la dynamique et du fonctionnement des écosystèmes, en particulier ceux où les oiseaux jouent de nombreux rôles écologiques. Les stratégies de conservation à l’échelle mondiale, notamment celles qui s’appuient sur la restauration des écosystèmes ou le rewilding, devront intégrer les pertes de fonctions écologiques associées aux extinctions à venir pour être efficaces sur le long-terme.

Mais l'enjeu est de taille. C'est un peu comme si une forêt perdait ses jardiniers que sont les animaux, qui dispersent les graines de nombreux arbres, et que l'on entreprenait de se substituer aux animaux avec des techniques ou technologies humaines. Mais sans savoir véritablement comment travaillaient les jardiniers et en faisant fi de la subtilité de leur travail dont on a effacé toute trace.

Références

The global loss of avian functional and phylogenetic diversity from anthropogenic extinctions’ Thomas J. Matthews, Kostas A. Triantis, Joseph P. Wayman, Thomas E. Martin, Julian P. Hume, Pedro Cardoso, Søren Faurby, Chase D. Mendenhall, Paul Dufour, François Rigal, Rob Cooke, Robert J. Whittaker, Alex L. Pigot, Christophe Thébaud, Maria Wagner Jørgensen, Eva Benavides, Filipa C. Soares, Werner Ulrich, Yasuhiro Kubota, Jon P. Sadler, Joseph. A. Tobias, Ferran Sayol Science, octobre 2024.

Contact science au CRBE :

Christophe Thébaud

Professeur à l'université Toulouse III - Paul Sabatier
christophe.thebaud@univ-tlse3.fr

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